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Borges et Proust

[…] On pourrait construire une histoire de la littérature tout à fait acceptable comportant uniquement les auteurs que Borges rejetait : Austen, Goethe, Rabelais, Flaubert (sauf le premier chapitre de Bouvard et Pécuchet), Calderón, Stendhal, Zweig, Maupassant, Boccace, Proust, Zola, Balzac, Galdós, Lovecraft, Edith Wharton, Neruda, Alejo Carpentier, Thomas Mann, García Márquez, Amado, Tolstoï, Lope de Vega, Lorca, Pirandello… Il ne s’intéressait pas (depuis ses expériences de jeunesse) à la nouveauté pour la nouveauté. Il disait que l’écrivain ne devait pas avoir l’impolitesse d’étonner le lecteur. Il cherchait dans la littérature des conclusions qui étaient à la fois surprenantes et évidentes. Rappelant qu’Ulysse, las des prodiges, pleura d’amour à la vue de sa verte Ithaque, il concluait : « L’art devrait être comme Ithaque — de verte éternité, non de prodiges. »

Alberto MANGUEL
dans Chez Borges, Arles : Actes Sud (Babel), 2005, p. 71-72.

Rappels sur Le Côté de Guermantes II

Par une brumeuse journée d’automne, peu de temps après la mort de sa grand-mère, le narrateur reçoit la visite d’Albertine, une des jeunes filles en fleurs de Balbec. Cette visite ne lui permet que tardivement de se rendre chez Mme de Villeparisis, où il rencontre la duchesse de Guermantes qui l’invite à dîner pour la fin de la semaine. Le lendemain, Albertine interrompt les rêveries du héros qui pense à la soirée qu’il doit passer avec Mme de Stermaria, cette jeune femme divorcée dont lui avait parlé son ami Saint-Loup. Mme de Stermaria annule le dîner et le héros se met à pleurer de déception. Saint-Loup apparaît aussitôt pour l’emmener au restaurant. Il lui apprend que le baron de Charlus veut le voir, après le dîner chez la duchesse de Guermantes. Les illusions du héros sur le monde de cette dernière s’évanouissent dès que la porte magique de son hôtel s’ouvre, car les membres de l’aristocratie qui, jusqu’alors, n’étaient que des noms qui évoquaient des rêveries, s’avèrent être des personnages réels, vivants. Ainsi déçu, le héros désire désormais être reçu chez la princesse de Guermantes. Lors de sa visite fort étrange chez Charlus, celui-ci, furieux, lui reproche de l’avoir oublié depuis leur rencontre à Balbec, et le châtie en lui annonçant qu’il ne lui apprendra jamais le « sésame » qui ouvre la porte de l’hôtel de la princesse de Guermantes. Lorsque, deux mois plus tard, le héros reçoit une invitation de celle-ci, il craint qu’il ne s’agisse d’une farce. Pour s’assurer de la véracité de l’invitation, il rend visite au duc et à la duchesse de Guermantes le jour même de la soirée. Il y retrouve Swann, qui annonce qu’il est mourant. Mais le duc et la duchesse sont trop préoccupés par leur propre plaisir social, et des soucis pourtant aussi frivoles que la couleur de leurs souliers, pour se laisser arrêter par une telle nouvelle, et partent dîner chez Mme de Saint-Euverte, avant de se rendre chez la princesse de Guermantes.

Emily EELS-OGÉE
dans Marcel PROUST, Sodome et Gomorrhe I, Paris : Flammarion, 1987, p. 59-60.

Brève de Charlus

« Croyez-vous que la salive envenimée de cinq cents petits bonshommes de vos amis juchés les uns sur les autres arriverait à baver seulement jusqu’à mes augustes orteils ? »

dans Le Côté de Guermantes II, Paris : Flammarion, 1987, p. 322.

L’Éducation de la princesse de Parme

Après bien des détours, le narrateur parvient à se faire inviter à dîner par la Duchesse de Guermantes. Accueilli par le Duc, il en profite pour lui demander l’autorisation d’aller admirer ses Elstrir, et n’ayant pas vu le temps passer il fait prendre au dîner trois quarts d’heure de retard. Quand il arrive enfin au salon, on lui présente donc tous les convives à pas de course, ce que Proust raconte en de très longues et très nombreuses pages dans lesquelles sa virtuosité dans l’art des portraits peut s’exprimer à loisir, comme en témoigne cet extrait de celui de la Princesse de Parme.

Son amabilité tenait à deux causes. L’une générale était l’éducation que cette fille de souverains avait reçue. Sa mère (non seulement alliée à toutes les familles royales de l’Europe, mais encore — contraste avec la maison ducale de Parme — plus riche qu’aucune princesse régnante) lui avait, dès son âge le plus tendre, inculqué les préceptes orgueilleusement humbles d’un snobisme évangélique ; et maintenant chaque trait du visage de la fille, la courbe de ses épaules, les mouvements de ses bras semblaient répéter : « Rappelle-toi que si Dieu t’a fait naître sur les marches d’un trône, tu ne dois pas en profiter pour mépriser ceux à qui la divine Providence a voulu (qu’elle en soit louée !) que tu fusses supérieure par la naissance et par les richesses. Au contraire, sois bonne pour les petits. Tes aïeux étaient Princes de Clèves et de Juliers dès 647 ; Dieu a voulu dans sa bonté que tu possédasses presque toutes les actions du canal de Suez et trois fois autant de Royal Dutch qu’Edmond de Rothschild ; ta filiation en ligne directe est établie par les généalogistes depuis l’an 63 de l’ère chrétienne ; tu as pour belles-sœurs deux impératrices. Aussi n’aie jamais l’air en parlant de te rappeler de si grands privilèges, non qu’ils soient précaires (car on ne peut rien changer à l’ancienneté de la race et on aura toujours besoin de pétrole), mais il est inutile d’enseigner que tu es mieux née que quiconque et que tes placements sont de premier ordre, puisque tout le monde le sait. Sois secourable aux malheureux. Fournis à tous ceux que la bonté céleste t’a fait la grâce de placer au-dessous de toi ce que tu peux leur donner sans déchoir de ton rang, c’est-à-dire des secours en argent, même des soins d’infirmière, mais bien entendu jamais d’invitations à tes soirées, ce qui ne leur ferait aucun bien, mais, en diminuant ton prestige, ôterait de son efficacité à ton action bienfaisante. »

dans Le Côté de Guermantes II, Paris : Flammarion, 1987, p. 180-181.

Le Proust nouveau est arrivé

Eh oui, j’ai récemment fait l’acquisition du tome II du Côté de Guermantes. On va voir s’il est aussi difficile d’accès que le prétend Jean Blain, et si je ne peux pas en extraire quelques « morceaux de bravoure ». J’ai hâte de savoir à quoi correspond cet intriguant escarpin de satin rose. Lire la suite →